LA GRÂCE BARBARE
M'habitaient ces figures énigmatiques, difficiles à situer, un espace temps insaisissable que je tentais de caler par ici-bas,
comme l'arrimage d'un bateau.
Me hantaient, ces difficultés d'êtres, ces cris silencieux que je maternais, ces figures d'anges humains que je sculptais sous
mon couteau, ces « dé-figurations », ces mystérieuses circulations d'énergie que je cherchais à cerner.
De plus en plus ces présences particulières se sont déconstruites, désagrégées, enfin libérées de leur tissu cicatriciel.
Elles ont laissé place à la boue, une matière picturale argileuse qui se débattait, se répandait jusqu'à pousser la verticalité
de ma toile. Verticalité qui s'est mise à pousser, pousser jusqu'à enfanter l'horizon.
L'horizontalité s'est imposée.
Les « dé-figurations » sont toujours là, elles nourrissent la terre.
Le chaos, le calme, puis sont apparues quelques surfaces émergentes.
La grâce barbare s'est montrée.
Magnifique archaïque, force numineuse, puissance inexpliquée, tige intemporelle, extraordinaire danse primitive !
La grâce barbare s'est montrée !
La terre tangue, le vide tourne, l'espace tremble, l'immobile remue, l'océan gronde.
Le vent s'est épaissi, les puissances telluriques s'organisent.
Magnifique débâcle, monstrueuse transgression naturelle.
Les entrailles aquatiques s'animent, elles semblent entendre un chant souterrain.
Le ciel est calme.
C'est surtout quand le calme céleste rencontre cette chevelure désentravée, amorale, que l'on peut voir la grâce barbare.
Parfois, on aperçoit à la surface de ce séisme indifférent de vieux restes de constructions humaines.
2005
Sabine Giovannetti
SABINE GIOVANNETTI 
